- « A dimanche, Victor »
- « Je viendrai te revoir après l'angélus
de midi » répondit Victor à sa charmante fiancée. Ils venaient de passer quelques heures
ensemble à se promener sur les chemins de
Lingèvres, cette petite localité du
Bessin entre Tilly sur Seulles et
Balleroy.
- « Remonte ton col, il ne fait pas si chaud »
- « Ne te tracasse pas Chérie, Ducy n'est
pas loin. Ah, si la semaine pouvait passer aussi vite que le
trajet que je vais faire pour rejoindre le château ». Nous sommes en l'année
1913 et cette scène se renouvelait tous les
week-ends. Victor faisait ses adieux momentanés à sa fiancée avant de rejoindre Ducy Sainte Marguerite où il était régisseur à la ferme du château.
Recouverte d'un grand châle, la jeune
fille regardait son
Victor disparaître, monté sur sa bicyclette. Sur le petit chemin qui mène à Couvert éclairé par un très beau clair de lune, Victor se retourna une dernière fois pour faire un petit signe d'adieu à celle qui l'attendra jusqu'à dimanche.
La montre d'argent du jeune homme indiquait
23 heures.
Le cycliste arriva près de Couvert (commune
disparue mais devenue hameau de Juaye-Mondaye). En apercevant les ruines de la petite
église, masse sombre faite de lierres
grimpants sur les seuls murs encore
debout, un souvenir lui traversa la
tête.
Il se souvint d'une découverte de sarcophages
remontant à une haute antiquité. On avait trouvé au siècle
dernier dans le cimetière, mais également aux alentours de
l'église une vingtaine de cercueils de pierre.
Victor se demanda s'il ne roulait pas avec
son vélo sur d'autres sépultures. Quelle idée, mais pourquoi
pas. Notre homme continua sa route quittant ce lieu où
certainement de nombreux romains fouillèrent cette terre du Bessin.
Il décida de passer par Condé sur Seulles.
Quelques nuages commencèrent à voiler
la lune quand le régisseur du château de Ducy traversa la petite
localité de Condé sur Seulles avant de prendre
la route menant à Ducy par le «moulin de Flaye sur la Seulles. La
fraîcheur de la nuit commença à frapper Victor, peut-être
que cela est dû à la rivière proche. Une autre sensation
apparut pour lui, sa fatigue d'un jour qui pourtant se nomme dimanche.
Victor décida de descendre de sa bicyclette et de monter à pied
la dernière côte avant d'arriver à Ducy. La lune portait maintenant
son voile gris et triste. Les arbres bordant sur la droite la
petite route semblaient vouloir happer avec leurs branches à demi-dénudées
l'homme qui rentrait chez lui après quelques heures passées en charmante
compagnie.
Dans la haie proche, un froissement de feuilles
se fit entendre. Les bruits s'approchèrent. Victor s'arrêta, regarda
autour de lui, personne ne le suivait.
Il reprit sa marche tenant d'une main son
cycle et de l'autre, maintenait le col de sa veste autour du cou.
Les bruits n'avaient pas disparu. Il se retourna à plusieurs
reprises sans rien apercevoir.
Un craquement de branches. Victor tourna
la tête, s'arrêta de nouveau, lâcha son vélo. Une forme blanche avait jailli des fourrés.
Munie d'un bâton, elle dansa autour de Victor.
Sur le coup il fut surpris, mais la surprise laissa la place à
la frayeur. Victor n'était pas un homme à s'effrayer
longtemps. Il se ressaisit et pensa à une blague faite par d'autres jeunes.
La forme blanche... un fantôme. Victor
lui cria : « Tu as intérêt à te sauver, ne t'approche pas trop près. Sinon il
faut que je sache qui tu es ». A peine avait-il prononcé le dernier
mot, la forme blanche disparut dans la haie d'où elle était apparue
Personne d'autre ne vit cette nuit-là ou une autre nuit le
fantôme de Ducy. Victor eut beau cherché à savoir, à connaître
les raisons de cette apparition, jamais il ne le sut.
Cette histoire n'empêchera pas Victor de
retrouver le dimanche suivant sa promise pour en faire plus
tard sa femme.
Gens de Chouain, de Condé-sur-Seulles,
de Ducy ou d'ailleurs, en circulant une nuit dans votre
belle contrée, n'oubliez pas que, peut-être, un fantôme
vous guette.