Le 24 août 1790 fut promulguée la
constitution civile du Clergé décrétée par l’Assemblée nationale. 135 évêchés
de France étaient supprimés et 83 créés avec des territoires qui ne correspondaient
en rien à ceux des anciens. Ces évêchés furent partagés entre 10 métropoles,
et Bayeux devint le chef-lieu de l’évêché du Calvados qui lui- même dépendit de
la « métropole des Côtes-de-la-Manche », c’est- à-dire de Rouen.
Les archevêques, les évêques et
même les curés devaient être nommés par les électeurs ; ces derniers pouvaient
être catholiques ou non.
Ce n’était plus le Pape, le Chef
de l’Eglise, qui donnait le pouvoir de juridiction aux évêques, c’était
l’archevêque de la métropole.
Les chapitres des Cathédrales
étaient supprimés et ces églises étaient transformées en paroisses ; les
prêtres qui les desservaient devenaient les vicaires de l’évêque et sans leur
consentement il ne devait et ne pouvait accomplir aucun acte de son ministère.
Il est bien facile de comprendre
qu’en décrétant toutes ces choses qui sont d’ordre spirituel, l'Assemblée
nationale méconnaissait la hiérarchie ecclésiastique, commettait un véritable
abus de pouvoir et empiétait sur les droits de l’Eglise catholique.
Un nouveau décret du 27 novembre
1790 ordonna que tous les évêques, curés, vicaires, prêteraient un jour de
dimanche, à l’issue de la grand-messe, le serment de « veiller avec soin sur
les fidèles de la paroisse qui leur est confiée, d’être fidèles à la Nation, à
la Loi et au Roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée
par l'Assemblée nationale ».
Un autre décret du 9 janvier 1791
voulut que ce serment soit prêté purement et simplement sans restriction.
Prêter la première partie de ce
serment était chose facile, mais jurer d’être fidèle à la Constitution, c’était
méconnaître l’autorité de l’Eglise et s’en séparer, en un mot c’était devenir
schismatique. Mis en demeure de prêter ce serment, Mgr de Cheylus, évêque de Bayeux, répondit dans une magnifique déclaration «
qu’il ne pouvait adopter une
Constitution dont le moindre défaut est
l’incompétence du pouvoir et qui n’offre aux regards du Catholique effrayé que
les ruines de son église et le scandale inévitable du schisme qui doit l’agiter
un jour ». Et il déclara que rien ne le décidera à prêter ce serment que sa
conscience réprouvait.
Beaucoup de curés et de vicaires
imitèrent leur Evêque ; Pierre Daligaux curé de Condé sur Seulles, fut de ce
nombre.
Le jeudi 21 avril 1791, le maire de
Condé sur Seulles et un officier municipal se transportèrent au presbytère «
pour satisfaire aux décrets de l’Assemblée Nationale du 27 novembre et à celui
du 4 janvier 1791 relatifs au serment à prêter par tous les ecclésiastiques
fonctionnaires ».
Ils interpellèrent Pierre
Daligaux, curé, de se conformer à la loi. Le bon curé leur répondit qu’il ne
pouvait le faire que dans les termes suivants :
« Je promets devant Dieu et en
face de la Ste Eglise de veiller avec tout le soin que je pourrai sur ma
paroisse et sur vous tous, mes enfants, dont les âmes me sont confiées. Je
promets d’être fidèle à Dieu, à la Nation, à ma Patrie, à mon Roy, et de
maintenir de tout mon pouvoir toute loy conforme aux décrets de la Ste Eglise
catholique, apostolique et romaine, dans le sein de laquelle je proteste
devant Dieu que je veux vivre et mourir moyennant sa Ste Grâce. Ainsi Dieu me
soit en aide et les Saints Evangiles, »
Certes le curé de Condé ne
pouvait promettre mieux, cependant son serment ne fut point trouvé bon ni
conforme aux décrets de l’Assemblée nationale, c'est la meilleure preuve que
ces décrets étaient dirigés contre l’Eglise Catholique et aussi que le
serment de fidélité à la Constitution ne pouvait et ne devait pas être prêté
purement et simplement comme le voulait la loi.
De tous les points de la France s’étaient produites
des récriminations contre le serment exigé. L’Assemblée nationale (les Députés
d’autrefois) entreprit d’y répondre et le 26 janvier 1791, elle arrêta qu’une longue
« instruction sur la Constitution civile » serait envoyée à toutes les
municipalités de France et « lue un jour de Dimanche à l’issue de la messe
paroissiale par un curé ou un vicaire et à leur défaut par le maire ou le 1er
officier municipal ».
Cette instruction voulait
prouver, sans y réussir que, loin d’empiéter sur le domaine spirituel de
l’Eglise, l’Assemblée nationale ne faisait que des réformes bonnes et utiles.
La municipalité de Condé sur Seulles recevait un
exemplaire de cette instruction avec une lettre circulaire du Directoire du
département. L’une et l’autre furent aussitôt communiquées à Pierre Daligaux, et
le lendemain, après la grand-messe, le Maire, sur le refus de M. le Curé, lut
lui-même à l’église l’instruction de l’Assemblée nationale.
M. le Curé de Condé répondit que,
fidèle à son Dieu, dévoué à la France et à son Roi, sa détermination était
irrévocable et qu’il ne prêterait jamais le serment de fidélité à la
Constitution civile du clergé qu’on voulait exiger de lui.
La municipalité dressa
procès-verbal de ce nouveau refus et l’envoya au district de Bayeux.
Par suite de son refus M. l’abbé Daligaux
était réputé démissionnaire de sa cure.
Le 15 septembre 1792, Pierre
Daligaux s’embarquait à Bernières sur Mer sur le navire de Jean-François
Haupois » avec 68 autres ecclésiastiques et débarquera à Portsmouth, en
Angleterre, où il trouva l’hospitalité que lui refusait sa propre patrie.
Il reprendra un bateau pour
rentrer en France le 28 mai 1802.