L'espion de Condé - Une histoire de Chouans?

 Le commissaire du directoire écrivit au département, le 6 prairial an VII (25 mai 1799):


Voici les faits:

En 1799, un habitant de Condé-sur-Seulles, du nom de Jean Morin, était acquéreur des biens nationaux.

Au mois de mai de cette même année, dans sa seule pièce principale au plafond noirci par la fumée, Jean Morin s'affairait près de sa cheminée pour allumer un feu.

Sa femme entra dans la pièce, Morin la vit : « Qu'as-tu ma femme, tu en fais une tête ? Pourquoi tant de grimaces ? »

Elle n'osait pas parler, effrayée par des bruits de pas qu'elle avait cru entendre à l'extérieur.

Morin n'eut même pas le temps de se relever ; la porte de bois s'ouvrit avec fracas et trois hommes apparurent dans l'encadrement de l'huisserie. L'acqué­reur des biens nationaux, apeuré, fit la grimace en apercevant ces hommes munis de sabres et de pistolets.

   « Morin, donne-nous tes biens » cria l'un des brigands.

   « Mais je n'ai rien, n'est-ce pas ma femme ? ». Sa femme ne répondit pas ayant un sabre à la pointe menaçante sous sa gorge.

Pendant qu'un brigand tenait Morin et sa femme à l'écart, les deux autres fouillèrent la pièce et découvrirent dans une petite mallette 4.000 francs de numéraires.

Le Condéen et sa compagne ne bou­gèrent pas car les trois hommes sem­blaient bien décidés, coûte que coûte, de leur voler ce qu'ils avaient de plus précieux ; peut-être leur vie. Quelques minutes plus tard, les brigands avaient disparu avec les plus beaux effets pré­cieux et les 4.000 francs de numérai­res.

En fin de journée, le commissaire du directoire se trouvait sur place, à Condé-sur-Seulles, avec un détache­ment composé de grenadiers et de chasseurs.

Il demanda même l'aide d'un déta­chement de la 40e demi-brigade afin d'effectuer des visites dans les mai­sons de Condé mais aussi de Chouain et de Nonant, deux communes voisi­nes. Plus d'un habitant fit là une drôle de tête en voyant les hommes d'armes pénétrant chez eux pour fouiller, perquisitionner.

La femme de Morin aurait-elle eu l'impression de reconnaître la silhouette d'un des hommes, d'un des brigands.

Les jours passèrent, malheureuse­ment sans résultats.

Le commissaire du directoire eut l'idée d'employer une ruse. Il demanda à un homme, habitant depuis peu dans la région de Condé-sur-Seulles, de faire l'espion. Cet homme qui fréquentait de nombreuses maisons de Condé et des communes environnantes, pour y exé­cuter des tâches agricoles, pourrait peut-être glaner des renseignements utiles afin de permettre l'arrestation des voleurs de chez Morin.

Ainsi un espion circulait sur les che­mins du Bessin.

Quatre jours plus tard, « l'espion » se promenait dans une ruelle de Ducy-Sainte-Marguerite quand il fut arrêté et emprisonné. Cet homme était un déser­teur et n'avait aucun papier.

Le Commissaire du Directoire en fit une mine en apprenant que son espion était prisonnier avec peut-être des renseignements importants sur le vol de Condé. Le Commissaire était le seul à connaître le rôle qu'il avait voulu faire jouer à l'homme maintenant en pri­son.

Le Commissaire se rendit chez le juge de paix avec le capitaine des grenadiers et obtint la libération du déserteur.

Mais, dès sa sortie de prison, l'homme espion devint un mystère car il disparut sans jamais réapparaître.

Comme les voleurs de chez Morin.